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Le baron de la drogue de Nador s’appelle “Pokémon”

4 Juin 2009 , Rédigé par Samir Ould Ali Publié dans #Drogue

L’affaire des 2,6 tonnes de résine de cannabis saisies le 12 avril dernier, à la plage Sbiaâte de Aïn Témouchent, est loin de connaître son épilogue. Des appels ont même été lancés via la Radio nationale pour sensibiliser les citoyens. À bord du fameux Zodiac Go Fast récupéré, il y avait finalement 5 tonnes de kif traité !

Dans un documentaire filmé, réalisé par le groupement de la Gendarmerie nationale de Aïn Témouchent, que dirige le lieutenant-colonel Abdelhamid Réda Aïdaoui, il est fait état d’une tentative d’introduction de 5 tonnes de kif traité sur le territoire algérien à l’aide d’un semi-rigide, un Zodiac Go Fast de 220 chevaux, estimé à 200 000 euros et fabriqué par Mast Pôle, une société polonaise. Flambant neuf, ce Zodiac déployé par les narcotrafiquants n’a au compteur, en fait, que 38 heures depuis sa mise en circulation.
Des colis gravés NH, 2009, K et TS et soigneusement enveloppés pour être acheminés à Ajaccio, en France. "Nos renseignements sont justes. Il y avait 5 et non 2,6 tonnes de drogue. Pour preuve, nous avons pu récupérer en mer près d’une tonne de résine de cannabis et 400 kg à Tigzirt, Tipasa, Azeffoun, Alger, Oran et même Annaba, emportés par les vagues. Il reste encore une tonne. Elle est dissimulée ici à Aïn Témouchent. Nous coopérons quotidiennement avec la Sûreté nationale et nous avons lancé des appels via la radio régionale pour sensibiliser les citoyens afin de dénoncer tout comportement suspect. Nous devons les retrouver. Et nous allons les retrouver”, a révélé M Aïdaoui qui ajoutera : “Nous avons déployé nos unités pendant vingt jours pour arriver à récupérer cette drogue. Le jour de la saisie, nous étions sur la plage pour récupérer un Zodiac d’immigrés clandestins, tous des Africains. C’était là que nous avons été surpris par un Zodiac plein de résine de cannabis.” Y aurait-il un lien entre les narcotrafiquants et ces clandestins, par ailleurs tous décédés en haute mer avant d’échouer sur la plage Sbiaâte ? Cette piste n’est pas à écarter quand on sait que les gendarmes avaient récupéré de l’argent, du dirham marocain, sur l’un des Africains.
Pis, un clandestin qui vise à s’installer en Europe devait au préalable être muni de l’euro et non du dirham ! Autant de nouveaux éléments qui laissent perplexe les enquêteurs qui travaillent d’arrache-pied pour arrêter les narcotrafiquants et récupérer le reste de la drogue. Pour le sergent Ayache, “une véritable banque de données sur la criminalité”, prendra le relais. “La drogue ne parvient pas de l’Afghanistan, ni du Pakistan ! Elle nous parvient directement des populations Chleuh établies à Nador, au nord du Maroc. Elle nous parvient par voie terrestre, à savoir de Béchar et Tindouf en direction des pays du Moyen-Orient, par voie maritime, à savoir par la mer à destination de la France, de l’Espagne et de l’Italie. Le reste, des réseaux établis à Maghnia et Tlemcen, est destiné au marché local, c'est-à-dire à la consommation”, dira le sergent Ayache qui démontre, par ailleurs, que les narcotrafiquants utilisent des Zodiac de type Fantôme, de moins de 16 mètres, et qui transportent seulement la moitié, à savoir 2 à 2,5 tonnes de kif traité, selon les missions commandées à partir du royaume chérifien. M. Aïdaoui dira encore plus : “Ces Zodiac, et j’insiste sur cet élément important, chutent tous à Béni-Saf. Pourquoi ? Quand ils arrivent à la limite du golfe, c'est-à-dire le tracé symétrique entre Nador et Béni-Saf, et la tangente Alicante et Almeria, ils s’arrêtent pendant deux heures ! Là, on n’a pas encore l’explication. Mais dès lors qu’ils sont pris par les violents vents d’ouest (gharbi), ces Zodiac sont systématiquement dirigés par les courants maritimes vers le cap de Targa et Malha, qui se veut comme un mur.
Selon les nouveaux éléments d’information, ce sont 136 000 hectares de résine de cannabis répartis sur 85 kilomètres carrés qui sont cultivés annuellement au Rif du Maroc. Ici même, au cap Targa et Malha, les gendarmes avaient récupéré un Zodiac appartenant à un certain Vladimir, un Russo-Belge, identifié grâce à son moyen de transport et au téléphone cellulaire Iridium de France Télécom et actuellement activement recherché. Ce baron travaille directement avec des réseaux internationaux basés notamment en Europe. “80% des tentatives d’introduction de la drogue en Europe sont menées avec succès car les frégates n’arrivent pas à intercepter ces diaboliques Zodiac qui circulent jusqu’à 500 kilomètres/heure ! D’où le recours aux moyens héliportés en haute mer”, dira encore le sergent Ayache. À AÏn Témouchent, grâce à la configuration de son golfe avec Nador, 6 Zodiac, dont 2 bourrés de drogue, ont été saisis depuis 2006 à ce jour. Marché juteux par excellence, le chauffeur du Zodiac, dit “Raïs”, touche l’équivalent de 4 millions de DA algériens, alors que ses adjoints, comme ceux qui s’occupent du carburant et des vidanges, touchent respectivement 3,1 et 0,1 million de DA. Zone d’impunité, le Rif marocain a également fait l’objet d’un documentaire dans Enquête exclusive de la chaîne de télévision française M6. Les éléments essentiels du reportage convergent tout à fait avec ceux utilisés dans la vidéo, une première, de la Gendarmerie nationale de Aïn Témouchent. Toutes les opérations sont cuisinées à la côte de Gibraltar sous le regard placide des gardes-côtes marocains et le silence du Makhzen. Il y avait même une vidéo de Mounir Remache, un baron marocain de la drogue, âgé seulement de 26 ans, qui nargue sur son somptueux Zodiac les autorités marocaines et Interpol.


Un trabendiste qui devient boss, à 24 ans
De mère marocaine, de père algérien, Pokémon, 24 ans, était un jeune trabendiste. Du “cabas” qui lui donnait à manger, Aïn Ouezzane Mohamed de son vrai nom, en rapport à Ouezzane, une localité marocaine, est impliqué dans plusieurs affaires de trafic de drogue. Sa conversion dans le business du kif traité, il ne la doit pas aux voyages, aux contacts, mais à son esprit criminel de voir les choses. De voir la vie. Armé, dangereux, les services de sécurité ne gardent de lui qu’une photographie prise en 2002. De souche marocaine, Pokémon est un maître chanteur connu pour ses coups bas, y compris vis-à-vis de ses acolytes de qui il détient les photocopies de pièces d’identité, des extraits d’acte de naissance et autres documents  pour les utiliser à des fins inavouées. Chef de réseau, voire d’une arrière-base d’un cartel international, il était derrière l’affaire des 600 kg de drogue introduits et saisis en mai 2008. En novembre 2007, Pokémon était également l’auteur de l’affaire des 200 kg de kif traité. Activement recherché, ce jeune baron de la drogue a été dénoncé par l’un de ses pairs. Son adjoint est également en fuite, selon les enquêteurs, Pokémon n’est pas aussi dupe que ses pairs le laissent paraître.
Son argent, il l’a investi dans les véhicules de luxe et l’immobilier. Il a à son actif des villas huppées, des BMW, une Mercedes et des véhicules ordinaires qu’il utilise pour acheminer de la drogue, comme les Renault Clio et les Renault 25. Derrière cet énergumène, des cellules basées à l’ouest du pays, toutes spécialisées dans la vente du kif traité, le vol de véhicules et le trafic de devises. Et ce n’est pas fini ! Pokémon détient d’autres biens même au Maroc où il entretient des relations étroites avec les narcotrafiquants du Makhzen. Sa méthode d’action est simple : il fait circuler des véhicules à longueur du mois entre des axes précis afin de pouvoir tromper la vigilance des services de sécurité. Suite à quoi, et une fois que le véhicule devient familier, il le bourre de kif traité et fait circuler sa marchandise. Une méthode classique que les gendarmes du groupement de Aïn Témouchent ont fini par cerner pour maîtriser le sujet.
C’est que, selon M. Aïdaoui, les gendarmes ont également fini par infiltrer les narcotrafiquants pour comprendre l’évolution de leurs méthodes et obtenir des renseignements sûrs. “Avec les personnes que nous avons identifiées et arrêtées, nous sommes parvenus même à l’arrestation des narcotrafiquants en Espagne grâce à la coopération avec la police nationale et Interpol”, dira-t-il encore.
(Liberté - 04 juin 2009)

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