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Oran : Au cœur d’une opération de "ramassage" de SDF

27 Avril 2009 , Rédigé par Samir Ould Ali Publié dans #Reportage

(In La Tribune - Novembre 2006)

 

Emmitouflé dans une tonne de hardes attachées les une aux autres, sous un des arbres courant le long du trottoir du marché de M’dina J’dida, le quinquagénaire ne veut rien entendre : «Non, je n’irais pas au centre… laissez-moi en paix… allez-vous en…». Pour décourager les membres du CRA qui veulent le conduire à Diar Rahma de Misserghin, le SDF se cabre en se débattant pour écarter les bras qui se tendent vers lui. «Je n’irai pas, je suis bien ici», répète-t-il continuellement. De guerre lasse ou par ruse, les jeunes bénévoles du CRA et les membres de la protection civile s’éloignent vers d’autres SDF…

 

20 heures : ultimes préparatifs

Par cette nuit froide, A. Khouidmi, le président du Croissant Rouge Algérien d’Oran met les dernières touches à l’opération de ramassage qui, ce samedi 18 novembre, doit viser les SDF campant en face de la prison d’Oran, dans le quartier de M’dina J’dida : «Où sont les camions de l’APC, s’enquière le président du CRA. Ils doivent enlever les cartons que nous laisserons dernière nous.» Près de l’entrée nord du siège de la wilaya, faisant à la direction de l’Education, le directeur de l’Action Sociale, le responsable de Diar Rahma, des officiers de la police et de la gendarmerie, et quelques pompiers reviennent rapidement sur l’itinéraire à suivre, en rappelant le nécessité de se montrer patients et fermes avec les SDF : «Quoiqu’il arrive, nous devons les enlever de là, exhorte l’officier de police. C’est une instruction de la wilaya. Des visiteurs étrangers doivent arriver demain…» Le responsable du CRA rappelle toutefois que cette opération «est prévue depuis mercredi dernier» et affirme que l’arrivée des étrangers «est pure coïncidence.»

 

Une commission multisectorielle statuera

sur le devenir des SDF. Les «étrangers» rejoindront

leurs wilayate d’origine et les aliénés seront internés.

 

En attendant l’arrivée des camions de la mairie d’Oran, le directeur de Diar Rahma insiste lourdement sur la nécessite de fouiller les SDF à leur arrivée au centre de Misserghin : «Nous avons eu par le passé de bien mauvaises surprise, rappelle-t-il à ses compagnons. Découvrir deux ou trois jours après son arrivée qu’un SDF possède un couteau n’est pas franchement rassurant.» Depuis 2003 qu’il est à la tête de Diar Rahma, M. Yahyaoui a ramassé une quinzaine de diverses armes tranchantes débusquées par ses agents de sécurité : cela va du poignard au canif, en passant par le cran d’arrêt, le canif, la lime ou le coupe-ongles : «Je ne veux pas avoir de mauvaises surprises ce soir», conclue-t-il.

A l’adresse des quelques journalistes venus assister à cette opération censée être secrète – «Par pudeur, nous ne voulions pas médiatiser une action de solidarité nationale, avait tenté sans convaincre d’expliquer le directeur de l’Action Sociale» - A. Khouidmi se projette dans l’avenir : «Après le ramassage de ce soir, une commission multisectorielle se rendra demain matin au centre pour étudier leurs dossier et décider des mesures à prendre.» Entre autres mesures attendues, il est prévu notamment de renvoyer les SDF à leurs wilayate d’origine, de transférer les malades mentaux à l’hôpital psychiatrique de Sidi Chami pour ne garder que les véritables personnes dans le besoin : «Dorénavant, explique encore le directeur du centre, nous ne garderons que les véritables SDF de la wilaya d’Oran, c'est-à-dire ceux qui n’ont pas de famille ni les moyens de survivre. Chaque wilaya devra prendre en charge ses propres Sans Domicile Fixe»

 

Sur la place, une lutte inégale

Aux environs de 20h30, le convoi composé des véhicules du CRA, de la Protection Civile, de la Gendarmerie et de la Police Nationales et de la Direction de l’Action Sociale s’ébranle, feux de détresse allumés. En moins de cinq minutes, les membres de ces corps, gants blancs de protection aux mains, sont à pied d’œuvre sur le Boulevard des Martyrs qui, sur quelques centaines de mètres, s’étend de la Place Roux à l’Avenue Cheikh Emir Abdelkader.

A l’abri de la douzaine d’arbres du Souk El G’sab, face à la prison d’Oran, une dizaine de SDF emmitouflés dans des nippes et du plastique sont déjà couchés sur des bouts de cartons, au pied du mur du marché. L’arrivée des intrus ne semble pas vraiment les perturber. Ils regardent d’un air tranquille les bénévoles du CRA s’approcher : «Salam alikoum. Montez dans les véhicules, nous vous emmenons à Misserghin. Vous aurez un repas chaud, un bain et un lit, c’est mieux que le froid et les dangers de la rue». Si certains se laissent traîner de bonne grâce, beaucoup tentent de fuir, contraignant les éléments de la sûreté nationale à plus de fermeté : «Lâchez-moi, vous n’avez pas le droit, je ne suis pas un SDF... Je suis de nationalité française, laissez-moi vous montrer mon dossier… », crie un sexagénaire en djellabah, en se débattant farouchement. Il aura fallu beaucoup de patience et de fermeté physique à l’officier de police pour parvenir à embarquer le «SDF français» dans l’ambulance du CRA : «Allons au centre et vous nous montrerez vos documents…» assure le policier devant les documents tendus par le sexagénaire : «Regardez, j’attends que le consulat français m’appelle», continue de crier le SDF…

 

"Epileptique, elle a fugué

de la maison de ses parents

et s’entête à vivre dans la rue."

 

Plus loin, des cris aigus brisent le silence de la nuit. Une jeune femme, dont on ne peut dire si elle a vingt ou trente ans, se débat comme une furie pour échapper aux bras qui la portent littéralement vers l’un des véhicules en stationnement : «Lâchez-moi espèce de fils de p…. !! Vous n’avez pas le droit ! Je ne veux pas y aller !». Mais rien n’y fait, les bénévoles du CRA et les policiers ne lâchent prise, jusqu’à ce que la jeune femme capitule : «D’accord, crie-t-elle encore, mais laissez moi récupérer les affaires… espèce de con…». Plus tard, dans le calme du centre de Misserghin, on apprendra que cette femme est une récidiviste qui a fugué de la maison de ses parents à Saint-Eugène, qui a été plusieurs fois emmenée à Diar Rahma, qui souffre d’épilepsie mais qui s’entête à vivre dans la rue. Conséquence fatale de cette vie d’errance, Karima est déjà tombée enceinte et a perdu son enfant : «Cette fois encore, elle est enceinte», nous apprend l’une des psychologues du centre. Viol ? La psychologue hoche la tête, sûre d’elle : «Non. Elle a eu des rapports consentants…»

Alors que les bénévoles s’échinent à convaincre les récalcitrants des vertus du centre, un hurlement s’élève près de la station d’essence de la rue des Frères Bouchakour, à la l’extrémité sud du Boulevard des Martyrs de la Révolution. Avant que personne n’ait eu le temps de réagir, une femme avait déjà traversé le boulevard et, à de toutes les forces de ses pieds nus, fuit sur l’avenue des frères Bouchakour. De guerre lasse, personne n’ose lui donner la chasse…

 

Une aliénée mentale

Un chapelet d’injures et de grossièretés surgit de la bouche d’une autre femme, plus âgée celle-là et qui sera la seule à réussir à rester au milieu de ses cartons: «Espèces de charognards, enfants de p… à la solde de la houkouma… Vous m’avez pris mes biens au aujourd’hui vous voulez m’enfermer ? Allez-vous faire f…» Les propos sont d’une telle crudité, d’une telle violence que même les psychologues du centre de Misserghin ont un mouvement de recul. L’officier de police, lui-même, peine à réduire la femme au silence : «Allez vous-en… Foutez-moi le camp d’ici… Vous ne m’aurez pas fils de p…» Deux hommes adossés à la porte d’entrée de Souk El G’sab semblent la connaître : «C’est une malade mentale, assurent les deux gardiens de nuit. Nous la connaissons depuis près de 20 ans. Nous savons qu’elle vient de la wilaya de Relizane et qu’elle a fait un séjour à l’hôpital psychiatrique de Sidi Chami. Vous savez, Aïcha a toujours été comme ça. Il arrive qu’elle passe des nuits à vociférer et à proférer des obscénités sans aucune raison. Ce n’est pas parce que les gens de la houkouma sont là. Elle a toujours été comme ça.» Nuisibles, ces SDF ? «Pas du tout, répond l’un des deux hommes. Ce sont de pauvres gens qui n’ont pas où aller. Vous croyez qu’on accepte comme ça d’être réduits à l’errance ? Ils viennent et ils dorment ici justement parce qu’ils sont rassurés par la présence des policiers en faction devant les portes de la prison. Les plus dangereux, en revanche, sont les malfrats qui traînent ici au cœur de la nuit… D’ailleurs, dès que vous serez partis, d’autre vagabonds surgiront

Durant tout le temps de l’opération, l’«aliénée», debout au milieu du trottoir, ne cesse de hurler et d’insulter et, à aucun moment, les bénévoles du CRA ni la la police ne l’approcheront : «Ce n’est que partie remise, explique le président du CRA. Demain, nous saisirons la direction de la Santé et il faudra bien qu’ils viennent pour l’emmener à l’hôpital psychiatrique».

 

Les manifestations de colère ont cessé.

Résignés, les SDF passent à l’enregistrement

et se soumettent à la fouille.

 

Le calme de Misserghin

Une heure après le début de l’opération, le boulevard des Martyrs de la Révolution est presque «net» : une trentaine de personne entre SDF et vagabond sont à bord des véhicules réquisitionnés et ne manque plus que le passage du camion de l’APC pour l’enlèvement des cartons, vêtements usés et plastiques qui servaient de couches. Une nouvelle et dernière fois, le convoi s’ébranle et prend la direction de Diar Rahma, à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Oran. Sur le chemin, à quelques mètres du boulevard des Martyrs, le Palais des Expositions est silencieux. Dans la journée, alors que les «effets» des SDF sont nichés dans les branches des arbres de Souk El G’sab, la Foire internationale bat son plein et les participants, entre algériens et étrangers, s’échinent à rentabiliser au maximum ce rendez-vous d’affaires. «La bas, les SDF seront enregistrés et fouillés avant qu’un bain et un repas ne leur soient offerts, prévoit le directeur de la DAS. C’est mieux que la rue, non ?»…

Près de vingt minutes plus tard, la trentaine de SDF résignés, dont quatre femmes et deux mineurs, passent à l’enregistrement et la fouille. Les manifestations de colère ont cessé et tous semblent attendre (avec plaisir ?) le moment d’aller manger. Plus calme, le «SDF français» s’échine toujours à convaincre une psychologue en blouse blanche que son dossier et complet qu’il n’attend plus que la convocation du consulat français. Karima, elle, semble aussi résignée que ses compagnons d’infortune. Du moins pour le moment car, prévoit-on au centre, elle ne va pas tarder à se réfugier dans la rue. Les responsables de l’opération de ramassage semblent, eux aussi, satisfaits des résultats : «Nous avons sortis une trentaine de personne de la rue. Ce soir, ils pourront se laver, manger et dormir dans un bon lit. Que demander de plus ?» énumère un directeur de l’Action Sociale qui a à cœur de faire visiter aux journalistes le nouveau bain maure, dernière réalisation de la Solidarité nationale. Leur mission de sécurisation accomplie, les membres de la Gendarmerie et de la Police nationales prennent congé…

Quant à l’homme à la tonne de hardes, il s’est finalement laissé convaincre et autorisé les bénévoles du CRA à l’extraire des guenilles : «C’est le seul moyen de ne pas se faire voler», avait-il expliqué pendant qu’un bénévole coupait les attaches à l’aide d’un canif. Débarrassé de ces hardes, et exhalant une odeur repoussante, il marche lentement à travers la cour du centre. Comme ses compagnons, il sera lavé, nourri et ira rejoindre les quelque 150 personnes qui peuplent Diar Rahma.

Le temps d’un soir…

 

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